Pour un certain type dâamateur de mode masculine â moi â ce week-end marque une occasion trĂšs spĂ©ciale. Les collections de printemps inondent les magasins depuis des semaines dĂ©jĂ , mais il y en a une en particulier qui nâest pas encore sortie. Evan Kinori, le crĂ©ateur Ă©tabli Ă San Francisco qui sâest engagĂ© Ă utiliser des tissus naturels et des coupes simples, travaille selon son propre calendrier. Aujourdâhui, le lendemain de lâĂ©quinoxe de printemps, le crĂ©ateur lance sa nouvelle collection dans le studio de vente de la marque Ă San Francisco, et elle arrive en ligne dimanche.
Selon lâĂ©trange calendrier dâexpĂ©dition de la mode, les vĂȘtements de printemps dĂ©barquent gĂ©nĂ©ralement dans les magasins juste aprĂšs le Nouvel An. Câest Ă cette pĂ©riode de lâannĂ©e que jâai envie dâune nouvelle chemise en lin ou dâune nouvelle paire de pantalons Ă double plis. Et câest gĂ©nĂ©ralement ce quâil fait.
Je suis un grand fan du travail de Kinori â nous sommes dâailleurs amis. Sachant que la collection allait arriver, je lâai appelĂ© pour avoir un aperçu des nouveaux vĂȘtements et pour savoir ce qui le prĂ©occupe ces derniers temps â y compris cette publicitĂ© douteuse pour Zara.
Sans plus attendre, voici le premier aperçu officiel de la collection printemps 2025 dâEvan Kinori, ainsi que ses rĂ©flexions Ă ce sujet.
Q- AprĂšs dix ans dâactivitĂ©, es-tu toujours aussi enthousiaste Ă lâidĂ©e de lancer une nouvelle saison ?
EK- Câest toujours un dĂ©fi de donner vie Ă un produit. Quelle que soit la taille du projet, il y a dâabord les idĂ©es, puis, des mois plus tard, la rĂ©alitĂ©, câest-Ă -dire la production. Je pense que ce dĂ©fi de transformer les idĂ©es en rĂ©alitĂ© est ce qui rend le travail passionnant et engageant, quel que soit le nombre de fois oĂč vous le faites. Ce nâest jamais parfait et il y a toujours des choses Ă apprendre et Ă amĂ©liorer. Chaque sĂ©rie dâĂ©ditions est une Ă©volution â nous essayons constamment de pousser plus loin le dĂ©veloppement des textiles dans le but de passer Ă des tissus entiĂšrement originaux et conçus sur mesure. Câest vraiment passionnant et cela permet lâexpression complĂšte dâun sentiment ou dâune idĂ©e, par opposition au simple suivi dâune tendance ou Ă la sĂ©lection dâoptions existantes dans un catalogue. Ă bien des Ă©gards, on a lâimpression que ce nâest que le dĂ©but.
Q- Tu as tendance Ă Ă©voluer assez lentement. Quels sont les Ă©lĂ©ments de la collection qui te semblent ĂȘtre des pas en avant ?
EK- En ce qui concerne les styles et les formes, cela correspond Ă ma façon de mâhabiller, et ce depuis le dĂ©but. Jâai frĂ©quentĂ© une Ă©cole de stylisme pour apprendre Ă me faire des vĂȘtements. Ce que jâai fait en 2015, câest ce que je portais Ă lâĂ©poque. Cela a continuĂ© Ă Ă©voluer chaque annĂ©e, en introduisant un ou deux nouveaux styles lorsque je me concentrais sur une nouvelle piĂšce Ă porter. Nous produisons encore toutes les formes de 2015, ce que je trouve plutĂŽt cool. Câest quelque chose que jâai toujours voulu voir davantage chez des marques plus anciennes - afin que les classiques perdurent, et quâil y ait toujours une sĂ©lection de piĂšces emblĂ©matiques disponibles. Nous nous limitons Ă©galement au niveau de compĂ©tence de notre modĂ©lisme en interne, ce qui ne durera peut-ĂȘtre pas Ă©ternellement, mais qui est important Ă mes yeux pour donner au produit son ADN unique ; chaque piĂšce passe du stade dâidĂ©e Ă celui dâĂ©chantillon cousu dans notre studio.
La sĂ©lection textile est probablement lâĂ©lĂ©ment qui Ă©volue le plus rapidement et qui a continuĂ© Ă le faire depuis 2015. Au dĂ©but, je travaillais avec tous les tissus qui me tombaient sous la main â jâachetais principalement des rouleaux de stock dormant auprĂšs dâusines locales, ce qui signifiait surtout des tissus pour vĂȘtements de travail comme la toile et le denim. Au fil du temps, jâai fait des recherches et jâai trouvĂ© des entreprises de tissus avec des programmes de stock ou des minimums peu Ă©levĂ©s, ce qui mâa donnĂ© accĂšs Ă des matĂ©riaux plus intĂ©ressants. LâĂ©volution sâest poursuivie au cours de la derniĂšre dĂ©cennie â en travaillant avec des producteurs de plus en plus petits afin de trouver ce que je considĂšre comme certains des textiles en fibres naturelles les plus uniques et les plus rares dans le monde.
Q- Tu as aujourdâhui un public assez large et dĂ©vouĂ©. Conçois-tu tes collections en pensant Ă eux ?
EK- Pour ĂȘtre honnĂȘte, pas du tout. Il y a peut-ĂȘtre des considĂ©rations commerciales intuitives sur la couleur, le poids des matĂ©riaux ou la qualitĂ© du drapĂ© â on pense Ă la portabilitĂ©, Ă la fonction ou Ă la durabilitĂ© dans un sens gĂ©nĂ©ral, mais pas de considĂ©rations du type « qui est notre client ? ». Je suis le client â il faut que je sois enthousiaste Ă lâidĂ©e de fabriquer le vĂȘtement. Les formes, les tissus - je dois vraiment y croire, et mĂȘme dans ce cas, nous nous posons encore beaucoup de questions sur les raisons pour lesquelles il faut le fabriquer, et nous rĂ©flĂ©chissons de maniĂšre critique Ă son utilisation et Ă la maniĂšre dont il vieillira, etc.
Q- Tu tâes lancĂ© dans lâameublement. En quoi cela a-t-il modifiĂ© ta façon de concevoir des vĂȘtements ?
EK- Je ne sais pas si cela a affectĂ© lâapproche du vĂȘtement en particulier, mais peut-ĂȘtre cela mâa-t-il donnĂ© un dĂ©bouchĂ© pour quelque chose qui nâest pas rĂ©alisable dans lâhabillement. Principalement la possibilitĂ© de fabriquer un produit entiĂšrement local et rĂ©gional.
Q- Le magasin de San Francisco semble prospĂ©rer. Envisages-tu dâĂ©tendre un rĂ©seau de boutiques physiques ?
EK- Câest une possibilitĂ©, mais le dĂ©fi pour moi est de savoir comment le faire dâune maniĂšre qui a du sens â Ă la fois pour moi et pour nos clients. Jâaccorde beaucoup dâimportance Ă lâexpĂ©rience vĂ©cue dans notre studio/atelier. Je ne veux pas quâil ressemble Ă un simple magasin ou Ă un commerce de dĂ©tail typique. Le dĂ©fi est donc de savoir comment crĂ©er un espace vivant et dynamique Ă plusieurs endroits, ou comment le faire dans un endroit oĂč nous ne sommes pas Ă©galement en train de travailler sur place. Quelques idĂ©es qui circulent, mais le temps nous le dira.
Q- Parle-moi de lâexpo Headlands.
EK- Les expositions sont un moyen de remettre en question lâexpĂ©rience typique du commerce de dĂ©tail. Nous lâavons fait Ă New York au printemps dernier. Headlands Ă©tait la deuxiĂšme itĂ©ration. Câest une expo temporaire et Ă©phĂ©mĂšre, qui permet dâinviter diffĂ©rents collaborateurs ou de prĂ©senter des objets diffĂ©rents, et nous avons Ă©galement créé des produits en Ă©dition spĂ©ciale pour chacune dâentre elles. Jâaimerais continuer Ă voyager avec ce projet â diffĂ©rents endroits avec diffĂ©rentes collections et une expĂ©rience unique qui ne se produit quâune fois â lâexact opposĂ© de lâachat dâun produit en ligne.
Q- Tous les créateurs à succÚs ont leur part de copieurs. Remarques-tu ce genre de pratiques ? Es-tu flatté ou contrarié ?
EK- La frontiĂšre est parfois tĂ©nue entre lâinspiration et la paresse. Un peu comme « les bons artistes copient, les grands artistes volent ». Je pense que vos inspirations doivent ĂȘtre sublimĂ©es dans votre travail afin dâobtenir quelque chose dâoriginal Ă partir dâun amalgame dâidĂ©es et de rĂ©fĂ©rences. Dans lâidĂ©al, vos rĂ©fĂ©rences ne doivent pas ĂȘtre faciles Ă dĂ©crypter. Le plus Ă©trange, câest quand quelquâun se contente de copier la forme dâun patron â il y a certaines bizarreries ou certains dĂ©tails de mes dessins que je connais trĂšs intimement, pour les avoir dessinĂ©s Ă la main sur une feuille de papier.
Mais la plupart du temps, cela nâa pas vraiment dâimportance. Jâessaie simplement de me concentrer sur ce que nous faisons et sur la direction que nous prenons, et de continuer Ă approfondir le dĂ©veloppement. Une personne sage mâa dit un jour « ils ne peuvent pas copier votre cerveau ».
Q- En parlant de ça, tu as sûrement vu cette image de Zara. Quelle a été ta réaction ?
EK- Câest plus surrĂ©aliste quâautre chose. Encore une fois, cela nâa pas vraiment dâimportance, mais câest drĂŽle de voir cette paresse ou cette incapacitĂ© Ă prendre quelque chose et Ă le rĂ©interprĂ©ter. La plus grande question est de savoir sâil sâagit dâune image gĂ©nĂ©rĂ©e par IA ou si un vrai dĂ©cor a Ă©tĂ© construit.
Q- Que prévois-tu pour le 10e anniversaire de la marque ?
EK- Je dois encore travailler sur certaines idĂ©es, mais jâaimerais organiser des Ă©vĂ©nements avec certains des magasins qui ont soutenu mon travail au fil des ans. Probablement au cours de lâĂ©tĂ© et de lâautomne. Je viens Ă©galement dâavoir une premiĂšre rĂ©union pour travailler sur un projet de livre qui, je pense, sera trĂšs amusant Ă rĂ©aliser.
Q- Quâest-ce qui tâenthousiasme le plus pour les dix prochaines annĂ©es ?
EK- Encore une fois, jâai vraiment lâimpression de nâavoir fait quâeffleurer la surface. Jâai hĂąte de consacrer plus de temps au dĂ©veloppement, Ă la recherche et Ă lâexploration, dâapprofondir la conception textile et de fabriquer des produits totalement originaux. Partager plus dâhistoires sur le processus et lâartisanat derriĂšre la fabrication de bons vĂȘtements. Trouver un moyen de fabriquer une basket compostable. Travailler sur de nouveaux espaces. Fabriquer plus de matĂ©riel dâimpression. Fabriquer de lâencens sur lâĂźle dâAwaji⊠beaucoup de possibilitĂ©s !