J’ouvre un topic concernant la marque Gyappu, dont certains et certains ont déjà un petit peu parlé ici et sur certains sites (je pense à BG notamment).
Il s’agit d’une marque plutôt orientée sartorial/tailoring, même si je sais que son créateur, Thibaud, joue aussi assez bien avec le militaria (et globalement pas mal de pièces vintages, que ça soit du workwear, du militaire et les vêtements traditionnels japonais). Les inspirations sont un peu un mix du tailoring anglais (pour la sobriété), français (pour la sophistication) et italien (pour l’audace), le tout assaisonné de pas mal d’inspirations japonaises, au-delà des tissus.
Je conseille à ce sujet de lire un peu la réflexion de Gyappu derrière Shibumi et Iki. Après quelques lectures, je n’ai pas encore bien cerné la nuance, mais je sens qu’il y en a une, et que ça joue beaucoup dans la construction de la collection de Gyappu.
La marque a commencé en début d’année avec des cravates (dont certaines du premier batch ont été rééditées), puis des chemises et des pochettes. J’ai une pièce de chaque aujourd’hui, et j’en suis plus que ravi (et j’attends une deuxième cravate verte, non doublée cette fois-ci). A terme, Gyappu proposerait un vestiaire sartorial complet (pantalon, veste, chaussures). Pour avoir vu quelques protos en photo, ça promet du très lourd.
Je me permets d’écrire un court retour ci-après, concernant mon expérience avec ce que j’ai acheté chez Gyappu.
1. Les cravates
Je vous laisse vous rincer l’œil sur les cravates (j’ai pris une verte, perso, je l’attends encore vu qu’il s’agit d’une précommande).
Toutes les cravates ont un travetto en fil d’or. C’est un détail typique des maisons sartoriales qui aiment bien faire compliqué pour l’amour de la prise de tête (plus snob, tu meurs), mais réalisé très discrètement, avec une réflexion derrière. Les tissus de cette première série de ces cravates avaient (à l’exception du noir) des reflets dorés discrets, faisant écho au travetto, qui donnent une très grande cohérence à la série entière. Les motifs sont relativement originaux, et la construction très bonne.
On est sur de la belle cravate, autour d’une centaine d’euros. C’est à la fois cher — pour qui n’a pas l’habitude des cravates de luxe, ce qui se comprend — et plutôt très raisonnable vu leur qualité, comparé à du Howard’s (même qualité pour 40% moins cher), E.G. Capelli ou Hermès (pour parler de trois marques dont j’ai une ou plusieurs cravates).
Je trouve que ce choix de couleurs donne des cravates « presque sobres ». C’est sobre de loin, mais de près les détails fusent. On évite à la fois le côté cravate business un peu chiante, motifs criards à la Hermès/cravate de tonton en polyester, et les motifs à fleur napolitains, certes très beaux mais vus vus et revus.
Petite déception sur le fait que la deuxième cuvée de cravates ne conserve pas cette cohérence avec un reflet doré, c’était vraiment un détail qui tue sur la première. (Cela ne m’empêche pas d’en avoir pris une, club.)
2. Pochettes
Gyappu a fait faire de petits séries de pochettes.
Les prix sont dans la moyenne (40€ pour des roulotées main, un peu plus pour du roulotage en point de croix, comme chez Simmonot Godard), la façon est plutôt très bonne. Pour les motifs/tissus, j’ai une violette, la couleur est très chouette et polyvalente.
Pareil, y’a pas des masses de choses à dire, c’est du bon boulot. (Si vous n’avez aucune pochette, foncez sur un modèle blanc à point de croix, ça servira toujours dans la vie, une pochette blanche.)
3. Chemises
On arrive sur le gros morceau.
Gyappu propose donc des chemises sartoriales, à porter impérativement dans le pantalon (ce qui est loin d’être inconfortable, cf plus bas), sauf si vous mesurez deux mètres (là elles pourront être portées hors du futal).
Faire une bonne cravate ou une bonne pochette, pas mal de marques y arrivent (même si, pour me répéter, c’est très bien fait ici, avec une direction artistique très cohérente).
Faire une bonne chemise, la concurrence est déjà plus rude, notamment dans le segment 120 à 160€ (avec BG, Howard’s, ABCL, etc. qui proposent soit des matières un peu texturées à la japonaise, soit des matières très classiques et plutôt appréciées des sartorialistes en herbe mais pas que). Et là, on est encore au-dessus en prix.
En fouinant sur son site (après avoir usé mon temps d’écran sur les cravates), je suis tombé sur une chemise à rayures, qui a fini par devenir une obsession pendant tout le printemps. Cependant, deux choses m’interpellaient :
- la fabrication indienne, que je trouvais un peu abusée pour une chemise à 200€ (on va y revenir), et
- les cols thermocollés.
Cependant, j’ai quand même fini par craquer, parce que le tissu était bien trop mystérieux et hypnotisant. Et que la menace d’un sold-out si je traînais trop planait.
Grand bien m’en a pris. Finalement, à la réception, j’essaye la chemise, et je suis passé instantanément de « c’est un peu cher pour une chemise, surtout fait en Inde » à « merde mais en fait, c’est pas assez cher pour ce que c’est ».
Et ça c’est moi, excusez la qualité médiocre de la photo… | Pochette et chemise Gyappu, cravate Howard’s, Veste Sartoria Formosa
La coupe
Le truc assez dingue dans cette chemise, et qu’il est très dur de bien montrer en photo (et Gyappu ne le met pas suffisamment en avant), c’est la coupe. Je savais ce que c’était qu’une bonne coupe de veste, en revanche j’ai toujours été assez indifférent aux coupes des chemises, pourvu qu’elles rentrent dans le pantalon et ne me moulent pas les pecs comme un jeune homme rongé par ses insécurités physiques.
Et là : non seulement la chemise est relativement bien ajustée sans être inconfortable, mais en plus elle se tend très bien, là où il faut. Le col se ferme bien sans espace ni étranglement, pas de doute, mon 38 est bien un 38 (comme chez Hast, Suitsupply, Avino, Howard’s & consorts).
Un exemple d’à quel point la coupe est travaillée : la ligne d’épaules, qui est parfaite (pour une chemise). C’est plus propre et met mieux en valeur les épaules que 90% des lignes d’épaules des vestes (oui oui) en prêt-à-porter (où souvent le tissu n’est pas du tout assez tendu, ce qui donne un rendu assez flagada, et on perd en carrure, un peu à la François Hollande).
Si vous regardez la façon dont se tend le tissu, ça donne une ligne très droite (en rouge). Pour autant, malgré la coupe ajustée et le tissu des épaules légèrement tendu, je ne suis gêné à aucun moment dans mes mouvements. C’est le genre de rendu que je ne connaissais que sur de la veste de tailleur 100% faite main, voire sur des lookbooks comme ceux de Cifonelli en grande mesure. C’est une des façons de voir si une coupe vous convient à la perfection, et c’est mon cas, avec ma morphologie.
Y’a quelques autres détails qui tuent, comme un travail sur l’emmanchure très particulier, celle-ci étant « décalée ». Cela entraîne le fait que le corps de la chemise ne bouge pas quand je bouge les bras. La chemise reste beaucoup mieux dans le pantalon. Sur une journée, je dois la remettre 3x moins souvent que des chemises classiques.
En un mot comme en cent, rien que le travail sur la coupe est extraordinaire, et enterre à peu près tout ce que je connaissais de la chemise sous les 150-200€.
Cela ne veut pas dire qu’il n’existe rien de mieux, ni rien de mieux dans cette tranche de prix, simplement de mon expérience je ne connais pas. Et on trouvera toujours mieux. Je sais que Marol est exceptionnel dans sa gamme, 100Hands aussi ; dans les deux cas, c’est 50 à 100% plus cher. Et il existe des chemisiers bespoke qui sont probablement encore au-dessus en qualité de coupe, finitions, tissus, etc. Mais c’est trois à cinq fois plus cher, forcément.
Bref. Beaucoup de mots pour essayer de bien faire sentir à quel point j’ai trouvé (et je trouve toujours) le travail de l’atelier de Gyappu vraiment hors-normes (on va y revenir, oui, je me répète).
Le col
Concernant le col, celui-ci est très bien fait.
Il est large (c’est une chemise de tailoring, après tout), un peu plus ouvert que les standards « français », sans être cutaway pour autant. Je dirais qu’il va à tout le monde.
Même si ce col a été pensé pour être toujours porté avec une cravate, je trouve qu’il rend très bien avec le dernier bouton ouvert et je le porte souvent ainsi. C’est donc plus polyvalent que ce qu’on pourrait penser, même si vous serez toujours dans le registre élégant/habillé. (Jusqu’à ce que Boras ou un autre de la team blog détourne l’objet de son esprit initial.)
Le col est très léger, sans baleine de col. Pour autant, il ne manque absolument pas de tenue, il ne s’affaisse pas avec le temps. Alors que même des cols avec baleine de col en nacre/métal ont une fâcheuse tendance chez moi à ne plus ressembler à grand chose après trois lavages.
Les poignets sont à l’avenant. Comme ils sont assez rigides (tout en étant très légers, comme le col), ils tiennent bien les manches et reposent sur la tête de l’ulna (la bosse du poignet). Je n’ai donc pas eu besoin de faire retoucher les manches, elles tombent impeccablement (c’est appréciable).
Bref, pari tenu, le thermocollage n’est pas vraiment gênant, même après dix lavages.
Pour citer le créateur de Gyappu, à ses yeux le thermocollage est meilleur que l’entoilage pour les cols de chemise, car il se repasse mieux que l’entoilage. La différence avec les vestes tient en effet de la fréquence de lavage (les vestes se lavent une à deux fois par an, les chemises une fois par semaine si vous tournez avec cinq chemises), avec le contact avec la chaleur corporelle (très forte sur le plastron d’une veste, réduit sur celui d’une chemise).
Je n’ai pas encore l’expérience des cols entoilés (même si prochainement sans doute, probablement chez Avino), je ne peux donc pas infirmer ou confirmer ces dires. Mais c’est vraiment de très bons cols, infiniment plus travaillés et à la tenue impeccable que ce que je vois chez des grandes marques comme BG/Asphalte/Hast/Suitsupply, et même je dirais un cran au-dessus de chez Howard’s (même s’ils ne déméritent pas).
La seule chose que j’ai vue de mes yeux (et testé) qui est aussi bien fichu en col, c’est le boulot de Avino (avec un mood assez différent, très napolitain).
Le tissu
Pas grand chose à dire. La main du tissu (japonais et 100% coton) est magique. Le tissu a un rendu très vintage, doux, sans faire vieillot. Les rayures sont discrètes, atypiques et de bon goût. L’arrière-plan du tissu est une sorte de blanc cassé. C’est du très bon boulot japonais comme ils savent si bien faire, et le tissu ne bouge pas une seconde même après dix lavages. (Il est lavé en amont, il me semble.)
Les finitions
C’est du bon, même si on peut toujours avoir mieux. Pour moi, ça relève du purisme un peu inutile, ou de la tentative de masquer le manque de boulot en coupe avec des finitions classiques (oui, toi qui en fait des tonnes sur les hirondelles de renfort, c’est à toi que je parle). Les bas de chemise sont par exemple cousus machine, alors qu’il est possible de les roulotter à la main (mais ça coûte plus cher). Perso, ça me convient très bien.
Les coutures sont très propres, et très fines (légèrement tubulaires et non plates). Ci-dessous, on peut comparer avec du travail de chez Hast (qui ne démérite pas, pour des chemises business consommables c’est très bien) :
Surligné en rouge, l’épaisseur de la couture (en haut Hast, en bas Gyappu). On voit que c’est pratiquement trois fois plus fin chez Gyappu. C’est certes du détail, mais ça montre un peu le niveau de précision de l’atelier… précision qui se transcrira aussi par la coupe.
Autre détail, les boutonnières sont très bien finies, et y rentrer les boutons est très aisé. Ce qui n’est vraiment pas le cas de la plupart des chemises que j’ai. (Je dois mal les acheter.)
Quelques mots sur l’atelier
Comme je l’ai dit, j’étais dubitatif sur la provenance des chemises. Elles viennent d’un atelier indien, et j’ai comme tout le monde du mal avec les vêtements faits en Asie, pour des histoires de conditions de travail, d’écologie, de qualité par rapport à l’Europe, etc.
Sauf que déjà, on connaît bien un pays dont la qualité des fabrications est largement aussi bonne que l’Europe : le Japon. Ce qui s’explique par leur culture de l’artisanat (le meilleur au monde pour moi), et leur capacité à décortiquer un savoir-faire étranger pour le faire leur.
Mais l’Inde n’est pas en reste. Historiquement, c’est un morceau du Commonwealth. Ce qui signifie que le Royaume-Uni a probablement beaucoup sous-traité l’industrie du vêtement en Inde. L’atelier de Gyappu est un atelier entièrement tenu par des Indiens, et réputés très soucieux de leurs ouvriers. Cela se ressent sur la qualité de la coupe, au sens où je doute qu’un atelier avec un fort turn-over (conséquence logique de la maltraitance d’ouvriers) puisse atteindre un tel niveau de finitions.
Cet atelier, c’est 100Hands. (Qui vend aussi des chemises en son nom propre.) De réputation, le seul atelier aussi costaud et qualitatif qu’eux, c’est Marol (en Italie), dans les ateliers de production industrielle.
Dans les deux cas, Gyappu est 30 à 50% moins cher que ces deux excellentes institutions de la chemise. Cela permet de relativiser un grand coup le prix, si ma bafouille sur la coupe ne vous avait pas déjà un peu convaincu.
Quant à la transparence du lieu de production (au maximum de ce qu’il est possible, je suis sûr que si Gyappu ne mentionne pas explicitement l’atelier, c’est pour une bonne raison et sûrement par par goût de l’opacité), elle est bienvenue et elle m’a beaucoup rassuré sur l’atelier. Ajouté à cela la réputation de 100Hands, honnêtement ça devient presque un non-sujet pour moi.
En conclusion
J’adore cette marque, je ne sais pas si ça se voit.
Plus sérieusement, le travail de Gyappu est vraiment très très bon. La marque a un « flair », je vous conseille d’errer sur son lookbook (sur Instagram ou sur son site). Je conseille aussi de lire les articles du blog Gyappu, c’est tout à fait intéressant : https://gyappu.com/blogs/reflexions-sur-l-esthetique-japonaise et https://gyappu.com/blogs/constructions-de-nos-pieces
On pourrait objecter une collection très réduite, ou des sold-out assez courants, mais c’est un peu le jeu des petites marques (ceux qui ont déjà tenté de commander chez SNS Herning savent de quoi je parle). On pourrait se plaindre de la fabrication extra-européenne (mais bon… les tissus japonais, de toute façon).
Bon, et le prix, parce que 200€ dans une chemise, on y est plus habitué. Maintenant, une chemise c’est 12h de travail, ça fait relativiser. En France, 12h d’un travailleur au smic, c’est 120€ en brut. Auquel il faut ajouter le tissu, la marge de l’atelier, le coefficient de marge de la marque (x2,5 à x3 si elle est très raisonnable sur ses marges), bref on éclaterait rapidement les 400€ pour un équivalent français.
Probablement moins avec moins d’heures sur la chemise, cf la maison Courtot qui propose des chemises en demie-mesure, autour de 275-300€. Mais vous avez saisi l’idée.
Mais hormis ce genre de petits détails (plus d’autres que j’ai sûrement oublié), je suis vraiment conquis. Je ne pense pas réussir à revenir en arrière niveau chemises.
La collection de cravate est très cohérente. Celles-ci sont bien finies, sans exploser le prix. Leur tombé est chouette, les tissus sont originaux.
Les pochettes sont à l’avenant. C’est bon/très bon.
Les chemises, c’est un peu le joyau caché de Gyappu. Je pense que c’est de loin le meilleur rapport qualité/prix de la marque, et globalement parmi ce qui se fait de mieux dans ces eaux tarifaires (100-300€ en comptant large).
My 2 CENTS (MODÉRATION On on peut aller jusqu’à 5 cents ici MODÉRATION OFF).